
Contrairement à l’idée reçue, le succès d’un partenariat public-privé (PPP) ne dépend pas de son montage financier, mais de la capacité de l’État à négocier et piloter des contrats complexes sur le long terme.
- Le partage des risques est souvent plus théorique que réel si l’expertise publique est insuffisante.
- Le coût final peut s’avérer supérieur au modèle traditionnel en raison de coûts cachés et de renégociations fréquentes.
Recommandation : L’enjeu pour le Québec n’est pas de choisir entre le tout-public ou le tout-privé, mais de renforcer son expertise interne pour imposer des contrats équilibrés qui servent réellement l’intérêt collectif et la transition énergétique.
Face à l’urgence climatique et à l’ampleur des investissements requis pour décarboner son économie, le Québec se trouve à la croisée des chemins. Le mur du financement semble infranchissable avec les seuls deniers publics. Dans ce contexte, le partenariat public-privé (PPP) est souvent présenté comme la solution miracle : un moyen d’accélérer la construction d’infrastructures énergétiques complexes tout en transférant une partie des risques financiers au secteur privé. C’est une promesse séduisante pour tout gouvernement pressé de livrer des résultats visibles.
Pourtant, cette approche suscite une méfiance tenace. Pour de nombreux citoyens et observateurs, le PPP est perçu comme une porte d’entrée vers une privatisation rampante de nos actifs stratégiques, une perte de contrôle public et, à terme, une facture plus élevée pour les contribuables. Les débats s’enflamment souvent autour de cette opposition binaire, opposant l’agilité du privé à la lourdeur du public. On compare les coûts de construction, on vante la rapidité d’exécution, mais on oublie souvent de poser la question fondamentale.
Et si la véritable clé du succès ne résidait pas dans le choix du modèle lui-même, mais dans la maturité contractuelle de l’État? Si, au-delà du financement, le véritable enjeu était la capacité de la puissance publique à définir ses besoins, à anticiper les risques sur trente ans et à négocier d’égal à égal avec des consortiums privés dont l’expertise est précisément de maximiser leur rendement. Cet article propose de dépasser le clivage traditionnel pour analyser les mécanismes internes des PPP dans le secteur de l’énergie au Québec.
Nous allons décortiquer l’anatomie d’un contrat de PPP, le comparer au modèle de la commande publique, identifier les pièges à éviter et explorer le rôle crucial d’acteurs comme la Caisse de dépôt et placement du Québec. L’objectif est de fournir au citoyen, au journaliste ou au décideur les outils pour comprendre si ce modèle est un véritable accélérateur de la transition énergétique ou un pari risqué pour l’avenir collectif du Québec.
Cet article propose une analyse approfondie et équilibrée du rôle, des avantages et des risques des partenariats public-privé (PPP) comme outil de financement et de réalisation des grands projets énergétiques au Québec. Découvrez ci-dessous le détail des thématiques abordées.
Sommaire : Analyse des partenariats public-privé dans le secteur énergétique québécois
- Qui fait quoi, qui risque quoi ? Anatomie d’un contrat de partenariat public-privé dans l’énergie
- PPP versus commande publique traditionnelle : quel est le meilleur modèle pour construire nos infrastructures énergétiques ?
- Les 5 erreurs à ne pas commettre pour un partenariat public-privé réussi dans l’énergie
- La Caisse de dépôt, le bras financier de la transition énergétique québécoise ?
- Le PPP comme levier d’innovation : comment utiliser la commande publique pour développer l’expertise québécoise
- Comment financer votre projet d’énergie renouvelable ? Le guide des options pour tous les types de porteurs
- Le coût de l’électrification : comment financer cette transition sans faire exploser le prix du billet ?
- La boîte à outils du gouvernement : comment les politiques publiques façonnent notre avenir énergétique
Qui fait quoi, qui risque quoi ? Anatomie d’un contrat de partenariat public-privé dans l’énergie
Au cœur de tout partenariat public-privé se trouve un contrat complexe dont l’objectif principal est de répartir les responsabilités et, surtout, les risques. Contrairement à une commande publique classique où l’État paie pour la construction d’un actif (comme un barrage ou un parc éolien) et en assume ensuite l’exploitation, le PPP lie les partenaires sur le long terme, souvent sur 20 à 30 ans. Le partenaire privé ne se contente pas de construire ; il finance, opère, maintient l’infrastructure et n’est rémunéré que si le service promis est rendu selon des critères de performance précis.
La clé de voûte de cette structure est le transfert du risque. En théorie, les risques de dépassement des coûts de construction, les retards de livraison ou les défaillances techniques sont assumés par le privé. L’État, lui, se protège en achetant un service à un coût défini, ce qui lui offre une prévisibilité budgétaire. Cependant, tous les risques ne sont pas transférables. Comme le souligne Jean-François Dupont, expert en contrats PPP, « le risque réglementaire est souvent le facteur le plus difficile à anticiper, car un changement de politique peut bouleverser totalement l’équilibre des partenariats sur le long terme ».
Cette répartition n’est jamais parfaite et crée une tension inhérente : le privé cherchera toujours à minimiser les risques qu’il accepte de couvrir, tandis que le public tentera de s’en décharger au maximum. C’est cette négociation qui détermine l’équilibre et la viabilité du projet.
Étude de Cas : Le Parc Éolien Pierre-De Saurel, un partenariat public-privé communautaire
Le Parc Éolien Pierre-De Saurel est un exemple unique au Québec d’un modèle communautaire 100% construit en PPP. Ce projet illustre un partage clair des risques entre la MRC (partenaire public) et le secteur privé. Le partenaire privé assume le risque lié au prix de vente de l’électricité grâce à un contrat d’achat à prix fixe avec Hydro-Québec, tandis que le partenaire public, en garantissant la demande, assume une autre facette du risque de marché. Ce modèle hybride montre comment deux philosophies distinctes dans la gestion des risques peuvent coexister pour la réalisation d’un projet d’énergie renouvelable à bénéfices locaux.
En fin de compte, un contrat de PPP réussi est celui qui aligne les intérêts des deux parties vers un objectif commun : la livraison d’un service public fiable et durable. Cela exige une définition extrêmement précise des attentes, des indicateurs de performance clairs et des mécanismes de résolution de conflits robustes pour s’adapter aux imprévus sur la longue durée du contrat.
PPP versus commande publique traditionnelle : quel est le meilleur modèle pour construire nos infrastructures énergétiques ?
Le choix entre un partenariat public-privé et une commande publique traditionnelle est l’une des décisions les plus stratégiques en matière de développement d’infrastructures énergétiques. Il ne s’agit pas simplement d’une question financière, mais d’une décision qui engage la capacité de l’État à contrôler ses actifs et à conserver son expertise sur le long terme. Le modèle traditionnel, où Hydro-Québec agit comme maître d’œuvre, a permis de bâtir le parc hydroélectrique québécois en développant une expertise interne mondialement reconnue. Cette approche garantit un contrôle public total sur la conception, la construction et l’exploitation.
Le principal argument en faveur du PPP réside dans sa capacité à mobiliser rapidement des capitaux privés et une expertise spécialisée pour des projets complexes, tout en transférant certains risques opérationnels. Cependant, ce transfert a un coût. Une analyse de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie révèle qu’en moyenne, les coûts cachés des PPP sur 20 ans représentent 18% supplémentaires au-delà du coût initial, notamment en raison de frais de financement plus élevés et de la marge bénéficiaire du partenaire privé.
L’un des risques les moins visibles mais les plus dommageables du recours systématique aux PPP est la perte progressive de savoir-faire au sein des institutions publiques. Comme le souligne l’analyste Marie-Claude Tremblay, « la perte d’expertise interne dans Hydro-Québec due à la déléguation excessive peut compromettre la capacité stratégique de gestion industrielle à long terme ». Cette asymétrie d’information peut placer l’État en position de faiblesse lors des renégociations de contrats.

La question n’est donc pas de savoir si un modèle est intrinsèquement supérieur à l’autre, mais plutôt de déterminer lequel est le plus adapté à la nature du projet. Pour des technologies éprouvées où l’expertise publique est forte, la commande traditionnelle reste souvent plus avantageuse. Pour des projets à haute complexité technologique ou nécessitant une innovation de rupture, un PPP bien structuré peut être un levier efficace. Le véritable enjeu est de ne pas faire un choix dogmatique, mais d’évaluer chaque projet au cas par cas, en considérant le coût total sur son cycle de vie complet et l’impact sur l’expertise stratégique de l’État.
Les 5 erreurs à ne pas commettre pour un partenariat public-privé réussi dans l’énergie
La promesse d’efficacité et de partage des risques des PPP peut rapidement se transformer en cauchemar financier et opérationnel si le projet est mal structuré dès le départ. L’expérience internationale et québécoise a permis d’identifier plusieurs pièges récurrents. Éviter ces erreurs est la condition sine qua non pour qu’un PPP serve l’intérêt public plutôt que de devenir un fardeau pour les contribuables. La première erreur critique est de se focaliser uniquement sur le coût de construction le plus bas lors de l’appel d’offres, en négligeant le coût total sur le cycle de vie de l’infrastructure (maintenance, exploitation, réhabilitation). Un soumissionnaire peut proposer un prix initial très attractif en sous-estimant les coûts d’entretien futurs, qui seront ultimement renégociés à la hausse.
La deuxième erreur est de sous-estimer l’asymétrie d’information entre le partenaire public et le consortium privé. Ce dernier possède souvent une expertise technique et financière bien plus pointue, ce qui peut conduire à des contrats déséquilibrés. Sans une agence publique dotée d’experts capables de challenger les propositions du privé, l’État négocie avec un désavantage notable. Une étude a d’ailleurs montré qu’environ 22% des projets PPP énergétiques font face à des renégociations majeures dans les cinq premières années, souvent à cause de clauses mal définies.
Troisièmement, négliger la réversibilité et les clauses de sortie est une faute stratégique. Un contrat de 30 ans est une éternité dans le monde de l’énergie. Des clauses inadéquates peuvent rendre l’État captif d’un partenaire défaillant ou d’une technologie devenue obsolète, sans possibilité de reprendre le contrôle de l’actif à un coût raisonnable. La quatrième erreur est le manque de transparence tout au long du processus, de l’appel d’offres à l’exécution du contrat. L’opacité alimente la méfiance du public et empêche une reddition de comptes efficace sur l’utilisation des fonds publics.
Enfin, la cinquième erreur est de ne pas renforcer en amont une équipe d’experts publics dédiée à l’analyse et au pilotage des PPP. Un partenariat ne peut être équilibré que si les deux parties disposent d’un niveau de compétence comparable. Comme le résume le juriste Luc Desjardins, « une rigueur accrue dans la sélection et la rédaction des clauses contractuelles est vitale pour assurer un partenariat équitable et durable. » C’est cette expertise interne qui constitue la meilleure garantie contre les dérives potentielles du modèle.
Plan d’audit rapide pour un projet PPP énergétique
- Évaluation du cycle de vie : Le coût total (construction, opération, maintenance, fin de vie) a-t-il été analysé en profondeur, au-delà du seul coût de construction initial ?
- Expertise interne : Avons-nous une équipe d’experts publics (ingénieurs, juristes, financiers) capable de négocier d’égal à égal avec les consortiums privés et de superviser le contrat ?
- Clauses de sortie : Le contrat prévoit-il des mécanismes de sortie clairs, financièrement soutenables et des conditions de réversibilité en cas de défaillance du partenaire ou de changement technologique majeur ?
- Transparence : Les détails du contrat et les indicateurs de performance seront-ils accessibles au public pour permettre une reddition de comptes rigoureuse tout au long du projet ?
- Partage des risques : La répartition des risques est-elle réellement équilibrée ou les risques les plus imprévisibles (réglementaires, sociaux) sont-ils finalement assumés par le public ?
La Caisse de dépôt, le bras financier de la transition énergétique québécoise ?
Dans l’écosystème du financement de la transition énergétique au Québec, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) occupe une place à part. En tant qu’investisseur institutionnel gérant les fonds de retraite de millions de Québécois, son double mandat est de générer des rendements stables et de contribuer au développement économique de la province. De plus en plus, ce second volet s’aligne sur les impératifs de la décarbonation. La CDPQ est ainsi devenue un acteur incontournable, agissant non seulement comme un investisseur, mais aussi comme un partenaire stratégique dans de nombreux projets d’envergure.
La stratégie de la Caisse est claire : augmenter massivement ses investissements dans les actifs durables et accompagner les entreprises dans leur transition. Les résultats sont tangibles, avec une diminution de 59% de l’intensité carbone de son portefeuille global depuis 2017. Ce positionnement fait de la CDPQ un partenaire naturel pour les grands projets d’infrastructures énergétiques, que ce soit via des PPP ou d’autres formes d’investissement direct. Elle apporte non seulement les capitaux nécessaires, mais aussi une expertise en gestion de projets complexes et un réseau international.

Ce rôle central n’est cependant pas sans soulever des questions. L’économiste Sophie Laramée met en garde contre ce qu’elle appelle la « financiarisation de l’énergie », un phénomène où les infrastructures énergétiques sont de plus en plus vues comme des actifs financiers devant générer un rendement pour des investisseurs, plutôt que comme des services publics essentiels répondant aux besoins du territoire. Ce changement de paradigme peut potentiellement entrer en conflit avec des objectifs sociaux, comme l’accessibilité des tarifs ou le développement de projets moins rentables mais stratégiques pour des communautés isolées.
Néanmoins, la Caisse démontre aussi sa capacité à innover dans ses modèles de partenariat. Son investissement aux côtés du Conseil mohawk de Kahnawà:ke dans des projets d’énergies renouvelables illustre une approche plus inclusive, qui allie rendement financier, développement durable et réconciliation. Le défi pour le Québec sera de bien encadrer le rôle de ce puissant acteur financier pour s’assurer que sa quête de rendement s’aligne toujours parfaitement avec l’intérêt public à long terme.
Le PPP comme levier d’innovation : comment utiliser la commande publique pour développer l’expertise québécoise
Au-delà de son rôle de simple outil de financement, le partenariat public-privé peut être transformé en un puissant levier d’innovation. Lorsqu’il est bien conçu, un appel d’offres en PPP ne se contente pas de demander la construction d’une infrastructure à un coût donné ; il peut aussi stimuler la recherche et le développement, encourager l’adoption de nouvelles technologies et, surtout, contribuer à bâtir une filière industrielle locale compétitive. L’État, en tant que grand donneur d’ordres, a le pouvoir d’orienter le marché vers des solutions plus durables et performantes.
Pour cela, les contrats doivent intégrer des clauses spécifiques qui vont au-delà de la simple construction. Un des leviers les plus efficaces est d’inclure des clauses de transfert de technologies vers les PME québécoises. Le partenaire privé, souvent un consortium international, peut être contractuellement obligé de former de la main-d’œuvre locale ou de s’approvisionner auprès de fournisseurs québécois pour certains composants technologiques clés. Cela permet de maximiser les retombées économiques et de développer une expertise locale qui pourra ensuite être exportée.
Un autre levier puissant consiste à établir un modèle de rémunération basé sur la performance de solutions innovantes. Plutôt que de payer pour un actif, l’État paie pour un résultat. C’est l’approche adoptée dans un projet pilote québécois pour le stockage d’énergie intermittente : le partenaire privé est rémunéré en fonction de la performance et de la fiabilité réelles de sa solution de stockage, ce qui l’incite à déployer les technologies les plus avancées et à les optimiser en continu. Ce type de contrat déplace l’objectif du « coût le moins élevé » vers la « valeur la plus élevée ».
Comme le souligne Dr. Claire Moreau, spécialiste en gestion énergétique, « l’innovation dans les PPP ne doit pas se limiter au matériel, elle doit englober aussi les modèles contractuels et la durabilité écologique ». Cela signifie également d’utiliser les PPP pour favoriser l’innovation sociale et l’acceptabilité des projets. En intégrant dès le départ les communautés locales et les Premières Nations dans la structure du partenariat, on s’assure que le projet répond à des besoins réels et qu’il génère des bénéfices partagés, réduisant ainsi les risques d’opposition qui peuvent faire dérailler les projets les mieux conçus.
Comment financer votre projet d’énergie renouvelable ? Le guide des options pour tous les types de porteurs
La transition énergétique n’est pas seulement l’affaire des gouvernements et des grandes entreprises. De plus en plus, les citoyens, les municipalités et les PME cherchent à prendre part activement à la production d’énergie renouvelable. Cependant, l’accès au financement reste souvent le principal obstacle. Heureusement, le paysage financier québécois a considérablement évolué, offrant aujourd’hui une panoplie d’options adaptées à différentes échelles de projets.
Pour les projets de plus grande envergure, les fonds d’investissement spécialisés dans la transition énergétique sont devenus des acteurs clés. Ces fonds, qui mobilisent des capitaux privés et institutionnels, ont vu leurs actifs croître de manière significative. Selon les données de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, le montant des fonds spécialisés en transition énergétique a augmenté de 45% entre 2022 et 2023, témoignant d’un appétit grandissant des investisseurs pour ce secteur. Ils offrent non seulement le financement, mais aussi une expertise en développement de projets.
À une échelle plus locale, le financement participatif (ou crowdfunding) gagne en popularité. Comme le mentionne l’experte Marie Lefebvre, « le financement participatif ouvre une nouvelle voie pour les projets de petite à moyenne taille, impliquant directement les citoyens dans la transition énergétique ». Cette approche permet de lever des fonds auprès d’une multitude de petits investisseurs, souvent au sein même de la communauté où le projet sera implanté. Cela a le double avantage de démocratiser l’investissement et de renforcer considérablement l’acceptabilité sociale du projet.
Le modèle des coopératives énergétiques est une autre voie prometteuse. La coopérative solaire communautaire du Québec, par exemple, permet à ses membres de devenir collectivement propriétaires des installations. Les citoyens ne sont plus de simples consommateurs, mais des acteurs économiques qui bénéficient directement des retombées du projet. Ce modèle garantit que la richesse générée reste dans la communauté et favorise une gouvernance démocratique des ressources énergétiques.
Enfin, divers programmes gouvernementaux, tant au niveau provincial que fédéral, offrent des subventions, des prêts à taux préférentiel ou des garanties de prêt pour soutenir les projets d’énergie renouvelable, en particulier ceux portés par les communautés autochtones et les municipalités. La clé du succès pour un porteur de projet est de bien analyser ces différentes options pour construire un montage financier hybride, combinant capitaux privés, investissement citoyen et soutien public.
Le coût de l’électrification : comment financer cette transition sans faire exploser le prix du billet ?
L’électrification des transports et des bâtiments est au cœur de la stratégie québécoise de décarbonation. Si l’objectif est clair, la question de son financement l’est beaucoup moins. La modernisation et l’expansion du réseau électrique d’Hydro-Québec pour répondre à cette nouvelle demande représentent des investissements de plusieurs dizaines, voire centaines de milliards de dollars. La grande question est : qui paiera la facture ? Et comment éviter que la transition énergétique ne se traduise par une hausse insoutenable des tarifs pour les citoyens et les entreprises ?
Actuellement, une grande partie des coûts liés aux infrastructures de réseau est mutualisée. Selon le bilan du Plan directeur en transition énergétique, plus de 70% du coût de mise à niveau du réseau est supporté par l’ensemble des usagers via ce qu’on appelle la « socialisation des coûts ». Ce mécanisme assure une certaine équité, mais il atteint ses limites face à l’ampleur des nouveaux investissements. Si l’on continue sur ce modèle, une hausse généralisée des tarifs semble inévitable, ce qui pourrait pénaliser les ménages à faible revenu et réduire la compétitivité des entreprises québécoises.
Pour éviter ce scénario, des solutions alternatives sont explorées. L’une d’elles est la mise en place d’une tarification dynamique. Hydro-Québec expérimente déjà un modèle où les grands consommateurs industriels paient un prix de l’électricité plus élevé durant les périodes de pointe de consommation. Ce signal-prix les incite à déplacer leur consommation vers des heures où le réseau est moins sollicité, réduisant ainsi le besoin de construire de nouvelles infrastructures coûteuses. Ce mécanisme permet de financer la robustesse du réseau sans affecter directement la facture des petits consommateurs.
Cependant, la solution la plus efficace et la moins coûteuse reste la maîtrise de la demande. Comme le rappelle Éric Léger, directeur de l’Agence de l’efficacité énergétique du Québec, « investir dans l’efficacité énergétique et la réduction de la demande est la meilleure méthode pour limiter les coûts liés à la construction de nouvelles infrastructures ». Chaque kilowattheure qui n’est pas consommé grâce à une meilleure isolation, des appareils plus performants ou des processus industriels optimisés est un kilowattheure qui n’a pas besoin d’être produit, transporté et distribué. Prioriser massivement l’efficacité énergétique est donc le moyen le plus direct de rendre la transition financièrement soutenable pour tous.
À retenir
- Le succès d’un PPP dépend moins du modèle que de l’expertise de l’État pour négocier et piloter des contrats complexes et équilibrés.
- La commande publique traditionnelle conserve des avantages en termes de contrôle et de développement d’expertise interne, souvent à un coût de cycle de vie inférieur.
- Des acteurs comme la Caisse de dépôt jouent un rôle financier majeur, mais leur action doit être encadrée pour s’aligner sur l’intérêt public à long terme.
La boîte à outils du gouvernement : comment les politiques publiques façonnent notre avenir énergétique
Si les partenariats public-privé et les grands projets d’infrastructure captent souvent l’attention, l’avenir énergétique du Québec se joue tout autant dans un ensemble d’outils réglementaires et de planification plus discrets mais tout aussi puissants. Les politiques publiques agissent en amont pour modeler la demande d’énergie, orienter les investissements et garantir que la transition soit cohérente et socialement acceptable. Ces outils forment la « boîte à outils » du gouvernement pour piloter une transformation aussi complexe.
L’un des leviers les plus structurants est la planification territoriale. En agissant sur les schémas d’aménagement, les municipalités et le gouvernement peuvent réduire la demande d’énergie à la source. L’établissement de normes de densité plus élevées dans les nouveaux quartiers, par exemple, favorise les transports en commun et réduit les besoins en déplacements motorisés. De même, les programmes incitatifs pour la construction durable et l’intégration de sources d’énergie comme la géothermie ou le solaire dans les codes du bâtiment façonnent un parc immobilier intrinsèquement plus performant sur le plan énergétique.
Un autre outil essentiel est le cadre réglementaire qui favorise la participation citoyenne et la démocratie énergétique. L’acceptabilité sociale est devenue le nerf de la guerre pour tout nouveau projet énergétique. Certaines municipalités québécoises l’ont bien compris en expérimentant des cadres de consultation publique élargie, voire des débats publics contraignants, avant même le lancement d’un grand projet. En intégrant les préoccupations sociales, environnementales et économiques des citoyens en amont, on ne fait pas que désamorcer les conflits potentiels ; on enrichit le projet et on s’assure qu’il correspond véritablement aux besoins du milieu.
Enfin, la fiscalité et les programmes de subventions directs demeurent des outils incontournables pour orienter les comportements. Qu’il s’agisse de taxes sur le carbone, de crédits d’impôt pour la rénovation écoénergétique ou de subventions pour l’achat de véhicules électriques, ces instruments envoient des signaux-prix clairs au marché et aux citoyens. La cohérence de ces politiques est cruciale : il serait contre-productif de subventionner l’électrification tout en continuant à financer l’expansion d’infrastructures favorisant les énergies fossiles. C’est l’articulation intelligente de tous ces outils qui permettra de façonner un avenir énergétique durable, efficace et équitable pour le Québec.